INVENTER ENSEMBLE DES NOUVELLES MODALITÉS DE VIE ET PAS SEULEMENT DE SURVIE

Que dit de nous cette crise du coronavirus ? 

Elle dit de nous que nous avons besoin du monde et des autres et qu’il ne faut pas que nous l’oublions. En effet, la pandémie et le confinement planétaire ont obligé beaucoup d’entre nous à se recentrer sur le foyer et sur son petit monde. Mais le grand monde, le monde public comme dit Eva Illouz, et ses échanges nous manquent. Par ailleurs cette crise a creusé les inégalités, les a révélées parfois. Il y a ceux qui sont aux marges, ceux qui n’ont pas de foyer ou tellement exigu, inconfortable ou insécure qu’il ne protège pas, ceux qui doivent continuer à travailler coûte que coûte, les soignants bien sûr mais aussi qui viennent de loin, qui prennent les transports et se lèvent très tôt pour nettoyer nos hôpitaux ou nos rues… Souvent toutes ces personnes sont invisibles, peut-être le sont-elles moins aujourd’hui, mais là aussi, il importe de ne pas oublier que nous sommes dépendants les uns des autres, dépendants de ceux qui nous soignent, de ceux qui nous nourrissent, de ceux qui éduquent nos enfants ou de ceux qui nettoient les lieux où l’on travaille… Cette crise dit de nous cette interdépendance et cette nécessaire solidarité pour que nous puissions résister, combattre et inventer des nouvelles modalités de vie et pas seulement de survie. Elle dit enfin que nous pouvons avoir confiance en nos jeunes, qui se sont engagés massivement à l’hôpital comme dans la société, et c’est réconfortant !

2- Vous avez rédigé avec vos équipes un kit transculturel sur le coronavirus. Quels sont vos conseils en cette période de confinement ?

Nous avons rédigé une série de kits transculturels pour les enfants et pour les ados (https://we.tl/t-aMt1Ugk1Rj) accessibles à tous sur le site de la Maison de Solenn (http://www.mda.aphp.fr/missions/transculturel/) à l’usage des enfants et des adolescents, fils de migrants, pour eux, pour leurs familles, pour les professionnels qui s’occupent d’eux et pour tous ceux qui les aiment… En effet, dès le début de la crise, nous avions mis en place une ligne téléphonique pour les familles migrantes et leurs enfants en lien avec notre consultation transculturelle où nous pouvons rappeler les familles migrantes qui nous contactent en parlant leurs langues maternelles. Et nous nous sommes rendus compte que c’étaient toujours les mêmes questions qui revenaient. Nous avons donc écrit des scénarios et nous avons cherché des auteurs de bandes dessinées qui voulaient bien mettre leur art au service de ces histoires. De grands auteurs comme Emmanuel Guibert, grand prix d’Angoulême, Fiamma Luzzati, Aurélia Aurita ou des plus jeunes mais talentueux comme Elliot Royer ont accepté de faire cela avec nous. On conseille à toutes ces familles migrantes, de parler avec leurs enfants et adolescents et de profiter de ce temps pour transmettre et négocier aves leurs enfants des modalités d’être ici, de se métisser en prenant des choses du monde d’ici et du monde où ont sont nés.

Les enfants doivent pouvoir jouer, rêver, bouger et même s’ennuyer

Pour ces enfants et tous les autres, on conseille de leurs parler clairement de ce qui se passe dehors, d’organiser leurs vies dedans sans donner une importance trop grande aux questions scolaires, de ne pas trop projeter sur eux nos inquiétudes d’adultes et de ne pas utiliser la peur comme levier pour eux, mais plus tôt ce que l’on peut faire et comment on doit le faire. De s’appuyer sur leur résistance vitale et de leur permettre de jouer, de rêver, de bouger et même de s’ennuyer.

Et pour les adolescents, tous les adolescents, qui vivent plus difficilement que les enfants ce confinement, on conseille beaucoup d’indulgence. Ce mouvement d’être enfermé chez eux est le contraire de l’adolescence. Ils se trouvent confrontés à leurs parents de manière presque exclusive et ils le vivent parfois de manière douloureuse et toujours un peu régressive. Il importe de leur permettre d’avoir des liens même virtuels avec leurs enseignants, leurs amis, leurs réseaux. Et pour eux aussi bouger et rêver.

Et pour les plus fragiles, de consulter les professionnels qui maintiennent tous des modalités de soins pendant cette période mêmes virtuelles.

Quelles peuvent être les conséquences psychologiques à long terme de cette crise et comment les prévenir ?

Les conséquences psychologiques à long terme de cette situation sont multiples car les ingrédients sont nombreux : l’épidémie vécue comme une catastrophe, la solitude des malades, la contagiosité de chacun qui peut transmettre la maladie, la mort qui touche les malades et les plus vulnérables, le deuil des personnes perdues sans que les rituels puissent se faire, ce qui rend les deuils plus difficiles à faire, la distance entre les personnes qui modifient notre manière d’interagir, de se parler, de se rassurer, l’enfermement lié au confinement et bien d’autres paramètres collectifs, familiaux et parfois individuels… Tous ces ingrédients ont des conséquences à moyen et long terme qui sont l’inquiétude et l’insécurité, l’angoisse, la culpabilité, le traumatisme collectif, la perte de confiance dans l’avenir…Et lorsque les situations familiales ou individuelles étaient fragilisées avant la crise, ça augmente encore cette fragilité et ça fait décompenser sur un mode anxieux et dépressif le plus souvent.

Mais on peut aussi parier et chercher à construire des nouvelles valeurs ou une modification de notre hiérarchie des valeurs, on peut compter sur notre résistance vitale individuelle et collective, sur notre capacité à inventer de nouvelles formes de travail, d’organisations, de soins… et cela console et restaure une certaine confiance dans l’avenir, un avenir sur lequel avec notre action, on retrouve des modalités de contrôle. Il nous faut déployer des capacités d’imagination et de rêverie collective pour résister et peut être, être plus forts (tous ensemble).

Marie Rose Moro